"Blauregen" Constantin Nitsche

09 Juillet - 17 Septembre 2022

Dîner avec le chef Cyril-tuan Pham le 03/09/2022 (sur resevation)

@Jean-Christophe Lett

Texte d'exposition

 Constantin Nitsche

La délicieuse incertitude du regard(eur)

Le monde contemporain est à ce point bombardé d’images que le regard, sursollicité, souvent ne les regarde plus vraiment. Entre clichés de surface et visuels fabriqués sans que l’on s’en rende forcément compte (ou cherche à s’en rendre compte : passivité assumée et/ou coupable !), l’œil n’opère plus forcément très bien la distinction. 

La peinture également nous a appris à nous méfier des apparences et des facilités de lecture. Celle de Constantin Nitsche pourtant apparaît limpide en tous points. Partout des personnages immobiles peuplent de vastes espaces, neutres parfois, mais plus souvent des paysages ou des intérieurs retranscris avec un réalisme d’une grande précision, surtout s’agissant de motifs ou d’artefacts décoratifs, vêtements compris. 

Tout dans ces tableaux est suspension mais aussi impermanence. Les scènes révélées, silencieuses, ne sont pas définitivement figées : elles apparaissent comme mises sur pause le temps – plus ou moins long – qu’un événement dont jamais l’on aura connaissance ne vienne modifier l’équilibre à l’œuvre. Parfois même l’impermanence confine à l’évanescence, comme lorsque la figure semble partiellement dissoute sur la surface : apparition ou disparition ? 

L’on n’en saura pas plus ; d’autant qu’entre absence d’anecdotes, surface parfaitement lisse qui désactive toute tentative de commentaire et refus de délivrer le moindre indice d’ordre psychologique, toute narration se trouve de fait proscrite et la révélation d’une intimité promise s’évapore inexorablement. 

Temps et action semblent être si parfaitement arrêtés, et donc propices à la dérive contemplative, que l’on en oublierait presque que l’image est trop parfaite pour être vraie. Car à travers le mélange d’emprunts au réel et d’inspirations d’ordre cinématographique qui caractérisent son travail – y compris techniques avec l’analogie au traveling latéral qui imprime certaines toiles –, Constantin Nitsche se livre à un véritable travail de mise en scène, un savant ouvrage de construction ; la construction d’un monde avec des emprunts faits à son monde, rendant encore plus périlleuse et incertaine la tentative de décryptage de l’image. 

La référence qui vient alors à l’esprit est celle du cinéaste Wes Anderson. Or dans son monde à lui tout est appuyé et surjoué, tant la « réalité » de l’action s’épanouit dans un cadre qui relève du décor, entretenant ainsi chez le spectateur un constant sentiment d’ambivalence quant à la nature de ce qui est donné à voir ; tout comme dans les tableaux de Constantin Nitsche pour qui accepte de les regarder, et non simplement de les consommer comme on avale des images immédiates. 

Qu’ils soient de dos, de face ou de profil, les personnages eux aussi font face aux images car ils contemplent quelque chose, y compris cet homme impassible au curieux regard vide, qui prend ses distances grâce à une clôture subtilement ornementée. 

Ils ne sont pas les seuls « voyeurs ». Le peintre lui aussi est voyeur, le regardeur également, qui va tenter de percer les mystères du tableau sans toutefois y parvenir tant il est assailli par le doute distillé par cette image trop parfaite pour être « honnête ». 

La peinture de Constantin Nitsche s’offre telle une lecture de son époque : celle d’un œil rigoureux et critique qui, malgré sa précision, n’ouvre sur rien d’autre que le vaste champ d’une délicieuse incertitude. 

Frédéric Bonnet

 

Constantins Nitsche bio:

*1987 a Ludwigshafen, Lives and works in Marseille

2011-2016 Kunstakademie Düsseldorf

Solo
2022 La Traverse, Marseille
2022 Two Peonies, Bar Gallery, Turin
2021 Violette, Otownhouse, Los Angeles
2019 Hotel Kummer, Parkhaus, Düsseldorf
Group
2020 Everything is Personal, Tramps, New York
2018 Salon des Amateurs, Tramps, London